dimanche 26 octobre 2008

Les nouvelles limitations de rouler

Avec plus de 20 ans de conduite mais aujourd'hui parisien et utilisateur occasionnel de véhicule, je pense être un conducteur prudent et responsable. Comme beaucoup, j'ai malheureusement connu des personnes proches décédées dans un accident de voiture, et j'ai moi-même eu la fâcheuse — mais constructive — expérience d'un ratage de virage en campagne boueuse, quelques mois seulement après avoir obtenu mon permis (en 1987)... heureusement sans dommage corporel. Je cite ces deux expériences personnelles car elles ont été essentielles dans mon appréhension de ce qu'est la “sécurité routière”. Personne n'a en effet envie de casser sa voiture, se faire peur dans un tête-à-queue et encore moins perdre la vie... mais encore faut-il avoir conscience du risque, bien réel, que l'on prend quand on se met au volant d'une voiture.

Tout récemment, je me suis fait flashé à deux reprises: l'une à vitesse retenue de 74 km/h (limite à 70) et l'autre à 111 km/h (limite à 110). Assez surpris et stupéfait d'avoir pu commettre une infraction malgré ma conduite prudente, j'ai eu envie de partager mon sentiment face à ce que je considère réellement comme une sorte d'injustice... et qui soulève à mon avis des problèmes bien plus graves que ces simples contraventions.

Après 20 ans de permis et pas mal de kilomètres, je me sens une certaine légitimité à détailler ici la règle de sécurité que je me suis fixée au volant: ajuster simultanément ma vitesse et les distances de sécurité associées, en fonction des contextes suivants:
  • le conducteur: aptitude à prendre le volent (fatigue, alcool, etc...);
  • le véhicule: tenue de route intrinsèque, puissance, entretien mécanique;
  • la situation: zone urbaine ou route, présence potentielle de piétons ou non;
  • la circulation: présence et comportement des autres véhicules;
  • la largeur et la courbure de la voie;
  • le type de revêtement et son état, par ordre croissant de difficulté: pluie/neige/verglas/boue;
  • les conditions de visibilité: la distance bien sûr, mais aussi la qualité optique du pare-brise et des rétroviseurs;
  • les difficultés diverses (présence de travaux etc...);
En tenant compte intelligemment de tous ces paramètres pour moduler sa vitesse, j'affirme que l'on peut éviter la totalité des accidents responsables et la grande majorité de ceux qui pourraient être provoqués par un tiers. Cela suppose bien entendu de rester concentré pendant la conduite (pas de téléphone, pas de GPS, pas de discussion animée, aucune distraction), en surveillant en permanence son “environnement” routier: devant, sur les cotés et derrière soi. La vitesse joue un rôle très important: il y a une relation directe et entre celle-ci et la rapidité nécessaire pour réagir face à une difficulté. Plus on va vite, moins on aura le temps de réagir. D'ailleurs, les chiffres officiels semblent sans appel: on nous dit que la gravité des accidents est directement proportionnelle à la vitesse, car celle-ci fait augmenter l'énergie cinétique (et donc la violence du choc), mais aussi diminue l'angle de vision, augmente le temps et donc la distance de réaction et de freinage. Si on y ajoute un manque d'attention, les conséquences peuvent être terribles.

Mais faut-il pour autant diaboliser la vitesse, comme le fait actuellement le gouvernement et les médias ? Certes non! Pour expliquer cela, revenons aux bases... Les avions volent à plus de 900 km/h et plus de 300 en bout de piste au décollage... le TGV roule à plus de 500 km/h... tout ça avec des centaines de passagers à bord, alors posons-nous cette question légitime: pourquoi les autorisent-on si la vitesse était intrinsèquement dangereuse ??

Et bien parce que “c'est étudié pour”, comme dirait Fernand Raynaud! Sérieusement, ce sont bien les conditions réunies autour de la vitesse qui comptent, plus que la vitesse elle-même. Le monde d'aujourd'hui va vite et personne n'a de temps à perdre, il faut donc se donner les moyens de cette vitesse. Les pistes d'aéroport sont larges et bien entretenues, la courbure des voies ferrées est adaptée aux nouvelles performances des trains, et la circulation des transports collectifs est strictement règlementée. D'ailleurs quand il y a un accident d'avion ou de train, on n'a jamais entendu accuser la vitesse (pourtant tout aussi “responsable” que dans un accident de voiture), mais plutôt un problème technique ou une erreur d'aiguillage... alors pourquoi cette réaction presque systématique face aux accidents de la route? Alors que, rappelons-le, les voitures modernes et nos belles autoroutes sont conçues pour aller à près de 200 km/h...

Autre argument: on nous dit que dans 80% des accidents en ville, 60% sur route et 40% sur autoroute, les conducteurs “roulaient trop vite”... J'en conclus déjà qu'au moins 60% (la majorité) des accidents sur autoroute ont une autre cause... et c'est pourtant sur la voie où l'on peut rouler le plus vite (pour info sur les 5000 morts par an sur nos routes, seulement 300 le sont sur autoroute, soit 6%). Et quel est le pourcentage de conducteur dépassant régulièrement la vitesse autorisée ? D'après les chiffres officiels, il dépasserait les 50%... Donc, reprenons: plus de 50% des automobilistes font des excès de vitesse, et dans les chiffres d'accidents sur autoroute, ce pourcentage tombe à 40%. Un bon statisticien en déduira que la vitesse n'est pas le paramètre influent sur l'occurrence des accidents.

Enfin une autre façon, un peu caricaturale, de voir les choses: la vitesse serait le grand responsable des accidents de la route? et bien alors supprimons-la! Rouler à zéro km/h, ça éliminera purement et simplement les accidents, n'est-ce pas? Alors, restons sérieux, concentrons-nous sur les conditions à réunir pour utiliser cette vitesse tout en réduisant les risques, et arrêtons de pointer du doigt un faux responsable. Or dans les campagnes de communication officielle, les articles ou les reportages, on n'hésite plus à faire ce raccourci qui est une véritable contre-vérité: «la vitesse serait le premier responsable des accidents». Non, la vitesse est un élément essentiel de ce qu'on appelle un “transport”, le fait de se déplacer d'un point à un autre, il faut pour cela une vitesse, la division de la distance par le temps de parcours. La vraie question est jusqu'à combien ? Et on revient à rechercher l'adéquation de la vitesse avec les circonstances.

D'ailleurs, les chiffres de la route ont confirmé a posteriori mon point de vue: après quelques années de radars automatiques, les automobilistes ont diminué leur vitesse, mais le nombre d'accidents n'a effectivement pas diminué; c'est leur gravité qui a clairement baissé. C'est pour moi la preuve indéniable que la vitesse n'est pas la cause des accidents. Et certains s'accordent bien pour préciser que c'est en effet un facteur aggravant, et non la cause.

Le gouvernement joue et communique volontiers sur cette constatation: plus on diminuera la vitesse autorisée, plus on diminuera le nombre de morts sur la route. C'est vrai et indéniable. Ce qui ne va pas c'est qu'on nous fait croire qu'ils ont trouvé la méthode efficace de sécurité routière. Or de la même façon, si on diminuait le nombre de véhicules, ou si l'on incitait à ne plus prendre son véhicule, on diminuerait aussi le nombre de mort proportionnellement...

Diminuer la gravité des accidents est bien sûr un objectif noble, et le contrôle de la vitesse étant simplissime à mettre en œuvre, l'État s'est plongé dans cette “solution miracle”... et uniquement dans celle-là. Et comble de tout, on nous vend cette répression violente (payer une amende ou subir une peine de suspension de permis sans pouvoir discuter) comme de la prévention! Grâce à ses contraventions justes et équitables, la police vous a préventivement sauvé la vie et celle de vos concitoyens, car vous auriez pu provoquer des accidents! Ça ne vous rappelle pas le raisonnement tordu d'un certain «W.» face à l'Irak ??

Combattre les vraies causes des accidents de la route est me semble-t-il primordial, et moins simple il est vrai, que d'installer un petit radar qui va faire baisser les chiffres mais sans s'attaquer au problème de fond. Les actions à réaliser dans ce domaine devraient être, simultanément:
  • améliorer la qualité des véhicules,
  • améliorer la qualité des routes (revêtement et signalisation),
  • améliorer la qualité de la formation des conducteurs (apprendre les vraies règles de sécurité et à respecter les autres),
  • diminuer le trafic des poids-lourds (premiers acteurs des accidents mortels).
Pour les deux premiers points, d'énormes progrès ont été faits ces dernières années; la tenue de route des nouvelles voitures s'améliore d'années en années, leur résistance aux chocs et aux incendies protège de plus en plus les passagers, les revêtements routiers et la signalisation ont aussi très largement évolué... même si on aimerait par exemple, que les limitations de vitesse s'adaptent automatiquement à la circulation ou à la météo... Restent les conducteurs. Et c'est là que le bât blesse. Les auto-écoles enseignent le code de la route et apprennent à utiliser une voiture, mais quand on en sort avec son permis en poche, on ne sais pas conduire, ou en tout cas, on ne maîtrise pas les comportements élémentaires de sécurité. C'est pour moi la raison principale des accidents de la route... et leur nombre ne diminuera pas tant qu'on ne se donnera pas les moyens d'une formation sérieuse des conducteurs.

Mais revenons à notre petite réflexion sur la vitesse.

En identifiant la vitesse comme l'un des principaux responsables des accidents, on a utilisé la limitation de vitesse comme une soi-disant arme absolue contre les “délinquants de la route”. Il y a eu alors 3 actions simultanées de l'État (voir le site):
  1. nouvelles lois avec aggravation excessive des sanctions,
  2. réduction de la vitesse limite dans de nombreuses portions de routes (y compris de larges nationales et autoroutes),
  3. installation de radars automatiques et multiplication de contrôles intransigeants.
Paradoxalement, ceci s'est fait pendant que la qualité (et donc les conditions de sécurité) des routes et des véhicules augmentait... Et la cerise sur le gâteau: finie la tolérance d'environ 20 km/h des radars mobiles d'autrefois; la marge de tolérance des excès est maintenant de 5 km/h, soit la “marge technique” cumulée entre la précision du radar et celle de votre compteur de vitesse! Je ne sais pour vous, mais mon compteur est gradué tous les 10 km/h, et a une précision approximative de 5 à 7 km/h (on peut vérifier avec un GPS qui lui est très précis). Donc pour être sûr de ne pas dépasser la vitesse autorisée, il faut être nettement en dessous de la limite au compteur, soit en dessous de 40 pour les limites à 50, en dessous de 80 pour les limites à 90, etc... Et là un effet extrêmement pervers intervient. Une étude américaine donne en effet ce tableau [tiré de securiteroutiere.info]:

Ce sont les données d'accidents de la route (jour, nuit et sur autoroute), non pas en fonction de la vitesse, mais en fonction de l'écart à la vitesse moyenne de tous les véhicules. Premier constat, les étoiles (sur autoroute) sont sur la courbe la plus basse. Deuxième constat, le minimum des courbes n'est pas autour de la vitesse moyenne, mais plutôt 20 km/h au dessus. Enfin troisième constat, si les accidents commencent à augmenter avec un excès de vitesse de 30 km/h au dessus des autres, il augmente dans les mêmes proportions pour la vitesse moyenne et plus encore pour un excès de lenteur de seulement 20 km/h. L'augmentation des accidents semble pointer vers l'infini à 60 km/h en dessous de la moyenne. Il y a trois conclusions importantes à tirer de ces données:
  1. ce n'est pas la vitesse absolue qui importe sur les accidents, mais la vitesse relative par rapport aux autres véhicules. Pour limiter les accidents, il faut donc inciter tout le monde à rouler à peu près à la même vitesse, et ceux qui s'en tireront le mieux sont les plus rapides à +20 km/h.
  2. rouler trop lentement est plus dangereux que rouler trop vite! À quand les radars d'excès de lenteur?
  3. et surtout: les radars automatiques actuels contraignent les conducteurs à se maintenir pile dans la “zone rouge”... il ne faudra pas s'étonner si les chiffres d'accidents se maintiennent d'années en années!
Si on ne tient pas compte de cette oppression, et qu'on se concentre sur une conduite raisonnable et exempte de risque réel, on peut arriver à des situations totalement aberrantes, où en roulant sur une large nationale 2 voies, au revêtement parfait, avec une bonne visibilité, en respectant largement ses distances de sécurité, à une vitesse adaptée à la tenue de route de son véhicule, on peut écoper de 90 € d'amende et perdre 4 points sur son permis, voire se le faire retirer pendant 3 ans. Au nom de quoi ? D'un grave manquement à la sécurité routière ? Certainement pas! D'un dépassement de vitesse limite fixée arbitrairement et inadaptée à la situation réelle, là oui!

On voit ici l'inadaptation de ces radars, aggravée par des incitations au chiffre des forces de l'ordre, ce qui revient presque au même puisque la police et la gendarmerie vont alors se comporter comme des radars automatiques, sans discussion possible... alors que nos “gardiens de la paix” devraient au contraire servir d'interface humaine dans chaque cas particulier, interface indispensable à l'application d'une justice raisonnable. Sans cela, avec un radar ou un policier opiniâtre, il n'y a plus un cerveau pour juger une situation réelle, et répondre en son âme et conscience à la question fondamentale: le conducteur a-t-il vraiment mis sa vie ou celle des autres en danger ? En roulant à 116 km/h au lieu de 110 km/h ? Qui oserait répondre «oui» ?

Au lieu de cela, les limitations de vitesses se multiplient, souvent inadaptées au contexte de sécurité, et comme par hasard, les radars vont être installés à ces endroits précis... là où l'on ne les attend pas a priori, là où les conditions de premier ordre (largeur de voie et visibilité) sont toutes réunies pour se permettre d'aller modérément plus vite, sans prendre absolument aucun risque supplémentaire. Conséquence directe: les conducteurs responsables, qui forts de leur expérience de conduite, voudraient exploiter les conditions de sécurité précitées pour réguler leur vitesse et ainsi limiter au maximum les risques, se retrouvent à devoir fixer des yeux leur tableau de bord, au détriment de la route et de la circulation, pour s'assurer qu'ils ne sont pas en excès de vitesse règlementaire! Et je ne parle pas des limitations franchement mal placées, qui obligeraient (je me refuse toujours à le faire, quitte à avoir une amende) à réduire très dangereusement sa vitesse et augmenter le risque d'accident avec les véhicules suivants! Il y a nombre de situations dangereuses sur la route, où il faut parfois accélérer momentanément pour éviter un accident, ne serait-ce que pour dépasser un autre véhicule. La loi d'aujourd'hui l'interdit.

Le système actuel, avec sa mauvaise loi et son application trop stricte, est totalement aveugle et en devient très souvent injuste, pénalisant le comportement de conducteurs comme moi, qui mettent la sécurité dans leur priorité comportementale au volant. Je ne prône pas la vitesse au volant, je dis juste que le vrai problème des accidents de la route n'est pas là. Il suffit d'aller voir la situation à l'étranger pour s'en convaincre.

Alors si on ne veut pas payer d'amendes ou être traité en criminel de la route, il ne reste que deux solutions: ne plus conduire du tout (mais alors améliorons les transports en commun svp), ou respecter bêtement les limitations, c'est-à-dire rouler 10 à 20 km/h en dessous de la limite autorisée (parfois à 50 km/h sur des portions d'autoroutes), concentrant son attention sur les panneaux et sur son compteur, au détriment du reste, au détriment de la vraie “sécurité routière”.