dimanche 9 janvier 2011

Un vrai café expresso italien à la maison

Je pose la question simplement : quand on a goûté au café en Italie (du Sud...), quel matériel acheter pour reproduire un “vrai” expresso chez soi ?

Il y a plus de 10 ans j'ai vécu une année dans la merveilleuse ville de Naples. La pause café avec mes collègues italiens, deux fois par jour hors déjeuner, consistait à prendre la voiture et faire un ou deux km pour se rendre dans le bistrot où le café était bon. La sélection dudit bistrot se faisait généralement sur la fréquentation : plus il y a de monde, plus la machine à café fonctionne fréquemment et donc meilleur est le café! Les bistrots italiens proposent l'espresso en trois versions (au moins):
  • caffè = le normal, un fond de tasse avec plus de la moitié de crème (15 ml), bu en une gorgée (voir photo);
  • ristretto = environ la moitié du normal... une demi-gorgée de crème concentrée, sans aucune amertume;
  • lungo = l'allongé, environ une demi-tasse, à peu près équivalent d'un “serré” en France (en meilleur)!
Certains italiens ont aussi l'habitude de boire un grand verre d'eau minérale avant leur expresso. On peut demander « un caffè e un pò d'acqua ». L'essentiel est de boire l'eau impérativement avant : cela rince le gosier, facilite la digestion et sans altérer le goût du café.

L'expresso italien est un nectar, véritable concentré d'arômes. Quand on y a goûté, comme à un excellent vin, on devient forcément un peu plus exigeant par la suite... Quand il est réussi il n'a normalement aucune amertume et finalement peu de caféine (essentiellement en raison de son faible volume, voir la note en fin d'article), à l'inverse du café réalisé par infusion ou lixiviation (le café filtre).

Mais revenons à notre question. Un expresso, c'est fondamentalement du café et de l'eau... Sa qualité dépendra avant tout de celle de ses deux éléments constituants. Le procédé de production s'appelle l'extraction. C'est un processus complexe mais pourtant très simple à décrire dans son principe : il s'agit de faire passer de l'eau chaude (température entre 88 et 95 °C selon les goûts) sous une pression de 9 à 10 bar au travers de 7 à 8 g de grains de café moulus finement, pendant environ 25 secondes ce qui produira in fine 15 à 30 ml de nectar et de crème. À boire immédiatement. La partie délicate est que c'est principalement la taille de la mouture du café qui conditionne la valeur de pression et donc le temps d'extraction optimal. Il faut aussi que la température reste constante pendant tout le processus, et étant donné le faible volume de liquide en jeu, ce n'est pas du tout évident à réaliser.



Solution A: cafetière italienne ou “moka”

La première solution à notre problème est celle adoptée par tous les italiens (et beaucoup d'autres amoureux du café dans le monde) : l'utilisation d'une cafetière moka dite « italienne ». Elles s'utilisent sur un feu gaz ou électrique et permettent un expresso avec un peu de crème. Elles sont généralement en aluminium (parfois en Inox), existent en différentes tailles (entre 1 et 12 tasses) et la marque incontournable est Bialetti, auteur du brevet de la “moka express” en 1933 (mais d'après ce site, ce serait un Français l'inventeur en 1822... chauvinisme, quand tu nous tiens!)

Pour bien réussir son café italien avec ce type de cafetière, il faut respecter certaines règles. Je les ai apprises le premier matin de mon arrivée en Italie, comme un examen de passage et de bonne conduite, et j'ai pu les perfectionner au jour le jour depuis plus de 10 ans. Les voici résumées en dix commandements :
  1. Utiliser la bonne mouture de café. La taille des particules de café moulu est très importante pour que l'extraction soit optimale (c'est surtout vrai avec les machines expresso à filtre non pressurisé, voir solution B de cet article). Sur les marques italiennes de café, vous trouverez un pictogramme indiquant que la mouture est adaptée ou non. Par exemple le café moulu Kimbo ou le Illy sont absolument parfaits pour ces cafetières.
  2. Utiliser de l'eau minérale (ou filtrée). La qualité de l'eau est également déterminante pour le goût, exactement comme pour le thé. Un autre aspect est d'éviter le calcaire qui pourrait encrasser la valve de sécurité...
  3. Remplir le réservoir jusqu'à la hauteur de la valve de sécurité. Les cafetières sont dimensionnées pour faire une certaine quantité de café (c'est pourquoi il y a toutes les tailles). Si vous mettiez moins d'eau ou moins de café, la cafetière ne fonctionnera pas correctement.
  4. Remplir le filtre de café moulu sans le tasser : remplir complètement le filtre en déposant délicatement le café moulu jusqu'à former un dôme dépassant en hauteur de 1 cm (pour un café serré). Pour éviter le débordement, il faut utiliser une petite cuillère et déposer/insérer la poudre de café délicatement au centre du filtre. Ensuite, visser la partie supérieure délicatement et c'est elle qui assurera un tassement parfaitement homogène du café dans le filtre. Si vous tassiez le café manuellement dans le filtre, vous créeriez inévitablement des zones plus tassées que d'autres... l'eau sous pression passerait par les chemins les moins denses et l'extraction ne serait pas optimale.
  5. Chauffer à feu doux. Sur un feu à gaz, utilisez le brûleur le plus petit et mettre la flamme au minimum. Sur les plaques électriques, le temps de chauffe est plus lent donc un thermostat moyen ou fort peut convenir. L'essentiel est de baisser, voire même éteindre la plaque lors de la sortie du café, qui doit se faire en douceur.
  6. Laisser le couvercle ouvert. Pendant la chauffe et la sortie du café, de la vapeur s'échappe du tuyau; si vous fermez le couvercle elle va surchauffer et brûler le café (et aussi le diluer, diront certains puristes).
  7. Surveiller le processus. Rester auprès de la cafetière et arrêter le feu dès la fin de l'extraction : le réservoir supérieur doit être rempli et il se produit un petit gargouillis caractéristique indiquant qu'il n'y a plus d'eau. Si vous laissez trop longtemps, le café aura un goût de brûlé. Si vous oubliez carrément votre cafetière sur le feu, danger! Sans eau dans le réservoir l'aluminium va monter fortement en température : le joint caoutchouc commencera à fondre, puis la poignée latérale en plastique... puis il peut même y avoir des cas d'explosion (si la valve de sécurité est encrassée). Quand on lance un café avec ce type de cafetière, on doit impérativement rester à côté !
  8. Mélanger le café avant de servir. Au cours de l'extraction, la densité du café produit diminue avec le temps : les premiers millilitres sont très concentrés (les huiles et les arômes), les derniers beaucoup plus dilués et ce gradient persiste dans le réservoir supérieur (concentré au fond et dilué en surface).
  9. Utiliser sa cafetière le plus souvent possible (tous les jours!) : après plusieurs semaines d'abandon ou lorsque la cafetière est neuve, votre café aura un mauvais goût d'aluminium ou de moisi. Pour le réduire, il faut faire au moins 1 ou 2 cafés “à vide” (en mettant seulement un peu de café moulu) et les jeter purement et simplement.
  10. Ne jamais utiliser de détergeant vaisselle pour le nettoyage : laver sa cafetière à l'eau et utiliser le doigt pour nettoyer le joint et le filetage du filtre. En utilisation quotidienne, on peut laisser la cafetière telle quelle jusqu'au lendemain (le marc de café va imprégner un peu plus l'aluminium), et la nettoyer juste avant de préparer le café du jour.

Principe de la cafetière italienne “moka”.

Le réservoir inférieur chauffé fait entrer l'eau (A) en ébullition, produisant de la vapeur sous pression qui pousse l'eau chaude vers le bas, la fait remonter dans le tube du filtre contenant le café moulu (B), le traverse provoquant l'extraction, le résultat étant recueilli progressivement dans le réservoir qui sert aussi de verseuse (C). Voir aussi cette image Wikipédia.

En voyage, ma Bialetti 1 tasse m'accompagne au même titre que mon rasoir et ma brosse à dents... Ne pas oublier les joints de rechange et l'indispensable adaptateur pour feu à gaz. Pour le café, soit j'emporte une boîte de Kimbo, soit si je suis sous les tropiques, j'aime tester les productions locales... la seule difficulté est de trouver la bonne mouture.

Les avantages de la cafetière italienne sont sa simplicité, son faible coût et son faible encombrement. Les inconvénients sont que la température de l'eau est proche de 100 °C : le café résultant est donc “sur-extrait”, c'est-à-dire fort en goût et en caféine; l'autre problème est la pression qui est insuffisante : entre 2 et 4 bars maximum.



Solution B: machine expresso à filtre non pressurisé et moulin à café

La petite moka c'est bien, mais ça reste nettement inférieur en qualité à un vrai expresso. Et contrairement à nos voisins italiens, nous pauvres français n'avons malheureusement pas au bas de notre rue un bon bistrot servant un excellent expresso (et en Italie, il est généralement à 1 euro seulement...).

J'ai alors commencé à m'intéresser aux machines expresso professionnelles, et j'ai découvert avec intérêt l'univers des baristas et des coffee geeks. J'ai par exemple appris que pratiquement toutes les machines expresso vendues dans la grande distribution (Krups, Magimix, Delonghi, ...) ont un porte-filtre pressurisé, c'est-à-dire que la pression d'eau lors de l'extraction est en fait conditionnée par les petits trous du filtre et non par la densité de mouture du café. Ce “détail” technique n'en est pas un : avec un filtre pressurisé l'extraction ressemble plus à une lixiviation (comme pour un café filtre) qu'une vraie percolation, ce qui, outre la médiocre qualité de l'extraction, a pour effet de rendre ces machines très “tolérantes” au type de café et à la mouture utilisée. D'autre part, ces machines produisent de la mousse de café (des petites bulles) et non de la crème (les huiles contenant les arômes); la présence de cette mousse et la valeur élevée de pression annoncée (en fait la puissance de la pompe) sont des arguments purement commerciaux pour prétexter une supposée qualité de l'expresso produit. Donc si les arguments de vente sont : « simplicité d'utilisation » et « beaucoup de mousse », fuyez !! La qualité d'un expresso, la présence de crème et la pression dépendent avant tout du type et de la mouture du café, ce qui n'est pas du ressort de la cafetière! Mais j'entends un lecteur qui pense : « et les machines qui ont un moulin intégré ? » ... Ben là, je n'ai pas d'avis car je n'ai jamais expérimenté ce type de machine. Il faudrait commencer par savoir si le filtre est pressurisé ou non et j'ai bien peur qu'il le soit. Ensuite, j'ai l'impression que même avec un filtre non-pressurisé cela revient aussi cher au total que des éléments séparés, donc personnellement je préfère maîtriser toute la chaîne.

Les machines à filtre non-pressurisé sont généralement réservées aux professionnels et on a du mal à les trouver dans les grands magasins. Heureusement sur le Net, on trouve des sites spécialisés comme (je me limite à des sites proposant une livraison en France) MaxiCoffee, Coffee Italia, Café Méo, Mon Café, ... Vous y découvrirez des marques inconnues du grand public comme Rancilio, Gaggia, La Pavoni, Isomac, Briel, FrancisFrancis, ... ces sites vendent aussi du café, des moulins, des accessoires, ... j'apprécie leur motivation principale qui est de faire connaître le café sous toutes ses formes et de sensibiliser à la passion des baristas. Cependant, cela reste des sites grand public et ils y vendent aussi les gammes de machines à filtre pressurisé ou même à dosettes. Et il faut parfois être très attentif pour savoir quel est le type de machine : sur MaxiCoffee par exemple, ils indiquent la mention « moulin à café recommandé », ce qui semble signifier que le filtre est non pressurisé.


Un petit mot sur les machines utilisant des dosettes : la norme E.S.E. (inventée par Illy en 1972) se démarque nettement des autres systèmes de conditionnement par son disque semi-rigide en papier dans lequel le café est pré-tassé : elles peuvent ainsi être utilisées par des machines à filtre non pressurisé (moyennant un adaptateur).

Le temps du choix. Après plusieurs semaines d'apprentissage et de recherche détaillée sur le Net, et avec un budget limité à 700 euros, j'ai fait l'acquisition d'une Rancilio Silvia V3, un moulin Ascaso I-mini I1 (sans doseur, meules plates de diamètre 54 mm, avec timer) et un tamper 58 mm en aluminium. On trouve beaucoup de forums et d'articles sur la Miss Silvia, je ne vais donc pas m'étendre, sinon que j'ai mis plusieurs jours à la maîtriser et que j'en suis très satisfait après 1 an d'utilisation. Ah oui, j'utilise occasionnellement le filtre 1 tasse La Marzocco qui assure une meilleure extraction que le filtre Rancilio d'origine, mais demande un surdosage. Je dois signaler ici qu'avant d'acquérir l'indispensable moulin, j'ai commis l'hérésie de fonctionner un certain temps avec du café moulu Illy : je dois dire qu'il permet d'excellents cafés quoique légèrement sous-extraits (15 à 20 secondes max, même bien tassé); et évidemment, les arômes diminuent rapidement avec les jours après l'ouverture de la boîte sous vide, même si couvercle est bien étanche. Donc ça ne remplace pas un moulin, mais le Illy étant très bien distribué en supermarché, ça peut dépanner.


Pour le moulin, j'ai longtemps hésité avec le Rancilio Rocky et finalement, dans cette gamme de prix, j'ai été séduit par l'Ascaso I-Mini (qualité de fabrication, esthétique, taille, ...). Il faut noter que le modèle I-1 Mini (ou I-Mini I1) semble assez récent car on trouve essentiellement sur le Net des critiques du modèle I-2 Mini avec ses meules coniques de diamètre 37 mm. Le modèle I-1 Mini coûte un peu plus cher mais a toutes les caractéristiques d'un moulin professionnel (meules plates). Son unique défaut est l'absence de graduation sur les deux boutons de réglage : taille de la mouture et durée du timer. Il faut sacrifier quelques cafés ratés avant d'arriver au réglage optimal. Mais du coup c'est très en accord avec l'esprit de la Silvia : simplicité, efficacité, robustesse mais utilisation demandant de la patience !

Pour le café, après plusieurs essais je me suis fixé sur une marque italienne Lucaffè qui propose quatre types de mélanges et un 100% arabica en paquets de 1 kg. Le mélange Exquisit (90% arabica, 10% robusta) se rapproche pas mal de ce qu'on trouve dans les bons bistrots italiens, mais les autres sont très bien aussi. Pour s'en procurer je recommande chaudement le site suivant (mal référencé sur le Net) pour ses prix attractifs, la disponibilité au téléphone (rappel immédiat et gratuit), la livraison éclair et l'emballage absolument impeccable : www.expresso-cafe.com.



Conclusions

Voilà j'ai mon vrai café expresso à la maison. Seule contrainte : allumer la cafetière le matin 30 minutes avant le premier café... si on est pressé, il suffit de passer le porte filtre quelques secondes sous l'eau très chaude.

Niveau prix, même en achetant de l'excellent café en grain italien comme le Lucaffé Exquisit à 18 €/kg, mon expresso me revient à 0,15 € la tasse de 7 g de café, eau et électricité comprises. À titre de comparaison, la marque au slogan “quoi d'autre?” c'est seulement 5 g de café (de bonne qualité, certes), extraction pressurisée dans sa capsule non recyclable, pour 0,35 € la tasse. No comment. (***)

Tout ceci étant dit, personnellement cela ne m'empêche pas de boire (presque) tous les types de café en toutes circonstances. Un café entre amis c'est avant tout un moment de convivialité et quand on aime vraiment, je crois qu'on est plus tolérant qu'intégriste... c'était la phrase philosophique du jour. De façon plus pragmatique, un café filtre bien préparé, par exemple, n'est pas fondamentalement “mauvais”, il est juste beaucoup moins évolué, moins riche qu'un expresso, comme un tout petit vin de terroir face à un grand cru.


Note: combien de caféine dans un expresso ?
Tout d'abord, la caféine n'est pas fondamentalement « mauvaise pour la santé » : c'est un stimulant des systèmes nerveux et cardio-vasculaires. Comme tout, il suffit d'apprécier et de ne pas en abuser. La teneur en caféine dépend avant tout du type de café : il y en a 2 fois plus dans un grain de Robusta que d'Arabica, et environ 10 fois moins dans une espèce décaféinée. Ensuite il y a la préparation : la molécule de caféine met assez longtemps à se solubiliser dans l'eau ; il y en aura donc moins dans un expresso que dans un café filtre ou pire, un café turc. Mais c'est surtout le faible volume qui fait qu'un expresso n'est pas au sommet de la teneur en caféine par rapport aux autres boissons. Un expresso “normal” de 30 ml contient ainsi environ 50 mg de caféine. En comparaison une grande tasse de café filtre en contient 3 fois plus (150 mg), pour un litre de Coca Cola ou Pepsi c'est plus de 100 mg. Pour information les organismes de santé publique recommandent une consommation maximale quotidienne de caféine de 400 mg/j pour les hommes (8 expressos), 300 mg/j pour les femmes (6 expressos... aparté: à quand la parité médicale ?...).

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(***) en fait il y avait au contraire un commentaire à faire sur cette comparaison hâtive: voir ce post ...